LES SPLENDIDES SGRAFFITES D’IXELLES

Et si on ne marchait plus en regardant droit devant ou en fixant les trottoirs… Si on levait le nez sur les façades, sur les impostes de fenêtres, les dessous de balcon, les frises sous les corniches et les baies, on tomberait nez à nez avec un paon, une rose, un coq…  Faites en l’expérience rue de Belle Vue à quelques encablures du Jardin du Roi et de l’Abbaye de la Cambre. Vous entrerez dans

le monde des sgraffites, un univers fascinant fait de lignes et de courbes claquantes comme des coups de fouet, de couleurs, de faune, de fleurs et de paysages.

Du grec graphein -faire des entailles, et du mot italien graffiare, pour « griffer », le sgraffite est une technique de décors de façades, l’art de la décoration architecturale déjà très utilisée à la Renaissance et chez nous à l’époque Art nouveau. Aussi riche que Prague, Pise, Barcelone, Anvers ou Charleroi,  Bruxelles et Ixelles n’ont rien à leur envier. Notre bâti bruxellois regorge de ces petits bijoux. Pas seulement à Schaerbeek qui en collectionne les fleurons, comme la somptueuse Maison Cauchie et ses remarquables voisines de la rue Louis Bertrand ou celles de la chaussée de Haecht, bien des quartiers ixellois recèlent de ces petits trésors.

La ligne coup de fouet

C’était au temps où Bruxelles «brusselait », où les maisons cherchaient à se distinguer de leurs voisines par le décor, où des communes organisaient des concours de façades, un temps où le langage architectural s’étendait à la conception de la maison toute entière, l’âge d’or des jeux de courbes et de contre-courbes, le sacre de la « ligne coup de fouet » en d’autres mots, le règne du sgraffite.

En embellissant sa façade pour la rendre unique, chaque propriétaire ou son architecte visait à se démarquer de la maison voisine, ce qui donnait une foison de motifs dans une même rue mais qui toutes ensemble forment une unité harmonieuse.

Un poupée et une mirette…

Cette technique de décoration murale assez proche de celle de la fresque ou du camée consiste à graver un dessin dans un enduit à base de chaux encore frais. L’artiste trace en creux, vite, et applique ses couleurs dans la masse à partir d’une maquette ou d’un dessin à taille réelle sur un calque ou un carton qu’il veut représenter. Il  perfore de petits trous les contours du motif à l’aide d’une roulette de couturier, il fixe ce calque (le carton) sur la paroi puis reporte le dessin sur l’enduit avec une « poupée », un petit sac de gaze rempli de pigments colorés qu’il tapote sur la surface. Les pigments en poudre traversent le chiffon et les trous perforés, et le dessin apparaît alors en pointillés sur l’enduit une fois le carton enlevé.

Sur la  deuxième couche d’enduit encore fraiche, il incise  ensuite et grave à l’aide d’une mirette pour faire apparaître la couche de fond noire ou rouge. Comme en calligraphie, il trace des pleins et des déliés, et met le sgraffite en couleurs.

La rose pour l’amour et le coq pour la ponctualité

Les sgraffiteurs de l’époque ont puisé leur inspiration dans la nature,  comme la feuille de marronnier très à la mode parce que Léopold II en avait fait orner les axes importants de Bruxelles, la marguerite qui était leur fleur porte-bonheur, la rose pour l’amour, le lys pour la pureté, le paon-animal fétiche de l’art nouveau, la femme en allégorie des arts et des saisons, les métiers, les paysages et le coq qui annonçait la ponctualité et la rigueur, d’où sa présence insistante dans les préaux des écoles. 

Rarement signés, il n’est pas simple d’en identifier leurs auteurs mais les plus grands ont imposé leur patte, comme Privat Livermont, professeur de dessin à Schaerbeeck, Paul Cauchie de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et Gustave Strauver, le  stagiaire de Victor Horta.

La bonne nouvelle…

C’est qu’il existe encore à Bruxelles et en Wallonie des conservateurs-restaurateurs de sgraffites et de peintures murales. Si le métier n’est pas protégé, cette formation existe au niveau du master et une association regroupe les professionnels du secteur. Les trésors du passé sont donc entre de bonnes mains et rien n’empêche de remettre les sgraffites à la mode.

Certains thèmes sont particulièrement à la mode à Bruxelles au tournant du 20e siècle. Bien qu’ici présentés

À la fin du 19e siècle, à Bruxelles il est probable qu’on utilisait de la peinture à la caséine (protéine contenue dans le lait). Aujourd’hui, quand on restaure un sgraffite, c’est plus souvent de la peinture au silicate de potassium qui est employée. Elle est respirante, résiste aux intempéries, se pétrifie avec le support et adhère bien au support minéral (à base de chaux et de sable). Elle se distingue en outre de l’original.

Certaines parties du motif peuvent être rehaussées à la feuille d’or ou de laiton.

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