Je m’appelle Chantal
Mes parents viennent tous les deux d’une famille nombreuse.
Ma mère, ainsi que mes quatre frères et sœurs, a été placée toute sa jeunesse. Il n’y avait pas à manger, Mon père buvait.
A vingt ans elle est tombée enceinte et elle s’est mariée. Je suis née en 62 à l’hôpital rue Malibran, mon frère en 65, ma soeur en 66 et la dernière en 76.
Jusque mes dix ans mes parents tenaient une ferme.
On avait des cochons, des chevaux, des poules, des lapins. Il y avait un potager, un verger avec des cerises et des pommes.
On avait une charette avec le cheval devant et on était à trois dessus, il y avait des sonnettes, des petits grelots et ça c’était chouette… C’est mon seul bon souvenir, je n’en ai pas d’autres.
On aurait pu être heureux mais mon père était violent et ma mère buvait aussi tout le temps, elle buvait des Portos.
On était régulièrement placés, soit en famille d’accueil, soit en sanaturium.
A la maison, nous, les trois aînés, devions tout le temps prendre du sirop, même qu’on n’était pas malade. Du Thiralène, Je n’ai jamais oublié ce nom. On marchait comme des momies…
A l’école, je ne savais pas suivre, je ne comprenais pas et je ne savais ni lire ni écrire.
Ça m’a marqué, tellement on en a bu et mon père en a profité
Il allait dans la chambre pour faire des choses avec moi et ma sœur.
Quandi je l’ai dit à ma mère, elle a dit: « Tu ne peux pas dire des choses comme ça, tu es mauvaise. Je vais te placer»
Famille d’accueil, retour à la maison, coups de pieds, coups de poing. Mon père tripote Sonia sous la douche.
« Maman, pourquoi tu réagis pas?»
Elle, elle ne bouge pas!
Une fois, j’ai frappé mon père. Je sais ça ne se fait pas, mais il me poussait tout le temps et il voulait toujours faire ça avec moi. J’ai pris mon sabot, je le lui ai lancé à la figure.
A 20 ans j’ai rencontré mon ami. Il avait eu une mauvaise enfance, un peu comme la mienne. Je me suis dit, comme on a vécu la même chose, on devrait se comprendre.
J’ai été enceinte, mais je me demandais si j’en étais capable. Lui était colérique, il n’est pas bien dans sa peau… Un enfant? fallait en avoir les moyens… Alors je l’ai fait partir et on n’a pas eu d’enfant.
Il ne gardait pas ses emplois et il a été des années au chômage.
Il ne voulait pas que je travaille ni que j’ai des amis.
Il était fâché tout le temps, il cassait tout, il était violent,… Alors je suis partie à l’Ilôt, mais à 56 ans c’était dur de dormir en chambre de quatre.
J’ai pensé, que la solution était que je rentre, que j’économise et que je m’en sorte.
J’ai fait la manche pendant deux ans. Je prenais le tram 7 pour être le plus loin possible de chez moi
Je devais lui remettre l’argent mais j’en gardais une partie!
J’étais toujours au même endroit, les gens étaient très sympathiques.
Un jour j’ai rencontré Romy. Elle m’a demandé ce que je faisais là, je lui ai expliqué. Elle m’a dit « Attends, je vais t’aider! »
Elle m’a trouvé une chambre et a mis en route le CPAS, Romy est ma sauveuse!!
Maintenant cela fait trois ans. J’ai mon petit studio, je vais au centre de jour, à la gym douce, à la chorale, je vais boire la soupe du lundi au Elzenhof, je vois une psychologue et je vais à «Lire et écrire » rue du Viaduc.
Je me promène, j’ai été voir les tapis de fleurs, les sons et lumières, c’est bien!
Dans le monde il y a tellement de choses à découvrir, il ne faut pas s’arrêter. La vie continue.
J’adore être dans ma petite pièce, assise sur mon clic clac , je met la télé pour le son et je regarde ma grande armoire, pleine de vêtements, mes bijoux de fantaisie et je me dis « Oh! Tout ça pour moi! »
Je regarde la photo de mon amie décédée. Elle me disait toujours « Titine , faut partir, faut partir! ». Ben je suis partie. Elle serait fière de moi.
Aujourd’hui, je suis bien, je suis heureuse. C’est moi qu’ai réussi tout ça!!
J’ai plein de choses à découvrir, plein de chose à rattraper!
Je ne sais pas encore bien lire et écrire, mais je suis pas tombée sur ma langue comme vous l’avez remarqué. Moi je dis il y a toujours une solution et c’est à toi de la trouver.
Voilà mon histoire… On va écrire un livre? Non, mais bien un article dans le journal « Les incorrrigibles » ! Avec mon nom dessus? Je vais être populaire alors? Mais c’est magnifique! C’est ça que je veux! Je veux être (re)connue, parce que je me dis que mon histoire peut servir à d’autres personnes.